Voxana Eis

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Alors que la journée continuait son chemin, Anasteria pouvait sentir qu’Ivona se tendait à chaque heure qui s’écoulait. Et ni elle ni Johan ne parvenaient à la faire rire. Durant le cours de combat, Anasteria ne pouvait s’empêcher de jeter quelques coups d’œil à Ivona alors qu’elle effectuait quelques passes d’armes paresseuses avec Johan. Heureusement que le jeune adolescent n’était pas vraiment doué, cela permettait à Anasteria de ne pas se concentrer totalement. Le visage d’Ivona était dur, et elle ne laissa pas vraiment de chance à Davos de la toucher qui avait toutes les peines du monde à suivre l’échange. Un brouhaha commença à s’élever, mais l’inquiétude qu’elle ressentait l’empêchait de détourner le regard d’Ivona. Elle voulait lâcher son arme, et trouvait les mots justes pour effacer les craintes de l’adolescente. Mais avant qu’elle ne parvienne à se décider, la voix de Johan coupa ses pensées.

 

— C’est l’impératrice !

 

Anasteria tourna finalement la tête, comme le reste des étudiants. Deux personnes se dirigeaient vers eux, en traversant la cour. À côté du premier enchanteur, une femme en robe rouge s’avançait et riait visiblement aux paroles du mage. Avant qu’elle ne puisse cligner des yeux, Iselia ordonna que le cours s’arrête, et elle se déplaça. Son visage dur fixait le duo qui marchait, puis elle lança un regard à Anasteria. Cette dernière déglutit, elle avait compris.

Anasteria n’avait jamais vu l’impératrice Viviana Trivaly de ses propres yeux. Bien sûr, même dans son village, elle avait entendu parler d’elle, de sa bonté, de son sourire. Beaucoup la comparer à sa défunte belle-sœur, Lucia et elle semblait porter le nom Trivaly avec honneur et fierté. Et comme Lucia, elle demeurait d’une beauté, et d’une prestance saisissantes. Sa longue robe rouge et or descendait jusqu’à ses chevilles pour dévoiler des chaussures vernies qu’Anasteria ne pourrait jamais se payer. Ses cheveux blonds se retrouvaient coincés dans un chignon parfait, et le soleil éclairait quelques mèches blanches. Sa peau semblait dépourvue du moindre défaut, et même les quelques rides formées par son sourire ne faisaient que l’embellir. Lorsqu’elle se trouva devant les étudiants, Eyron leva la main et sa voix forte résonna.

 

— Votre cours est terminé. On doit discuter avec Horne, Eis, De Vila et Johan.

 

Anasteria pouvait entendre les chuchotements des autres élèves, mais très vite, ils se dispersèrent, et seul leur groupe habituel resta. Johan se posta à sa gauche, Ivona à sa droite. Et caché derrière eux, Davos observait. Johan voulut s’incliner par respect, mais Iselia s’interposa devant les étudiants, et son bras interrompit le mouvement de l’adolescent.

 

— Un mage ne s’incline jamais, expliqua-t-elle. Même devant la famille impériale, Johan.

 

Johan fut décontenancé. Il apprenait encore les us et coutumes des mages et des Iniscans, mais jamais il n’aurait imaginé ne pas s’incliner devant un dirigeant. Il hocha doucement la tête, et son regard se concentra sur ses pieds alors que l’impératrice parlait d’une voix calme.

 

— Johan Grims. Enfin, anciennement Grims. Maintenant que tu es pupille, ce nom comme ta vie en Méridie est révolu.

 

Viviana reporta ensuite son attention sur Ivona. Un petit sourire en coin apparut, puis elle fixa Davos.

 

— C’est un plaisir de te voir Ivona, bien que j’imagine que ta mère est peu satisfaite des nouvelles. Comme ton père, Davos

 

Les mains d’Ivona se nouèrent et elle se tendit un peu plus. Finalement, Viviana posa son regard sur Anasteria. Et chaque détail de son visage, et de sa tenue s’en trouvait décortiqué par ses yeux bleus. Elle finit par esquisser un sourire énigmatique.

 

— Tu dois être Anasteria Horne.

 

Anasteria croisa les bras et hocha en silence la tête. Son pied droit tapait nerveusement le sol et trahissait le stress qui la rongeait de l’intérieur. Le sourire de Viviana s’élargit.

 

— Est-ce que par hasard, tu serais lié à Enora Horne ? demanda-t-elle.

— C’est ma mère, répondit Anasteria, confuse. Je suis surprise que vous la connaissiez.

— J’ai bien connu Enora lorsqu’elle travaillait à la capitale. Elle possédait tellement de talents. Je tuerais pour avoir de nouveau ses vêtements. Quel dommage qu’elle soit partie !

 

Anasteria fronça doucement les sourcils. Sa mère n’avait jamais vraiment parlé de sa vie à Astela. Tout cela s’était passé avant sa naissance, et elle lui avait conté la même histoire. Elle et son mari étaient venus à la capitale dans l’espoir d’établir un petit commerce de couture, mais il n’avait jamais marché. Anasteria avait toujours trouvé ça incroyable compte tenu des compétences de sa mère. Dans ses mains, chaque bout de tissus devenait une étoffe fabuleusement belle.

Anasteria n’eut pas le temps de répondre qu’Iselia poussa un long soupir et sa voix dure effaça le sourire de Viviana.

 

— Sauf votre respect, que faites-vous ici ?

— Surveillez vos paroles, Iselia, prévint Eyron. Vous parlez à l’impératrice.

— Allons, intervint Viviana. Iselia s’inquiète juste pour ses élèves. Je peux lui pardonner. Mais je suis venue pour comprendre ce qui se passe. Je ne voudrais pas que quelque chose arrive à nos futurs mages. Nous avons besoin d’eux, et c’est notre devoir de les protéger.

— Ils n’ont rien fait. On les a déjà interrogés, et j’aimerais qu’ils puissent étudier en paix. Et je n’apprécie pas vraiment de ne pas avoir été prévenue.

 

Anasteria trouvait l’aplomb d’Iselia face à l’impératrice incroyable. Elle savait grâce aux cours que les mages ne se courbaient pas devant la famille impériale ni devant aucun noble. Le Collège était un contre-pouvoir si puissant que les mages pouvaient toiser les dirigeants comme leurs égaux. Anasteria enviait la prestance de sa professeure, et espérait secrètement qu’elle pourrait posséder la même, une fois devenue chevalière. Mais le regard d’Iselia quitta l’impératrice et en le suivant, Anasteria vit l’objet de son attention. Trois mages s’avançaient vers eux, chacun vêtu de différents uniformes. Une femme petite à l’uniforme centré et rouge, symbole de l’éducation d’Ignis, ouvrait la voie. Sa queue de cheval brune se balançait au rythme soutenu de sa marche. Et son regard sombre s’était verrouillé sur l’impératrice et le premier enchanteur. Derrière elle, un homme aux cheveux noirs teintés de blanc avançait à une allure plus calme. Ses yeux légèrement bridés trahissaient ses origines méridiennes. Néanmoins, son expression ne demeurait pas plus douce que la femme. Sa sacoche en bandoulière rebondissait sur ses vêtements verts, montrant son appartenance aux chercheurs. Et enfin, à la fin du groupe, une mage qu’Anasteria avait déjà aperçue dans le songe d’Ivona : Voxana Eis, sa mère, à une différence près cependant, son expression glaciale hérissa le poil d’Anasteria. Si un jour, elle avait trouvé qu’Ivona pouvait faire preuve de froideur, ce n’était rien en comparaison de sa mère. Ses yeux bleus ne dégageaient aucune sympathie. Sa peau blanche ne comportait presque qu’aucune ride, comme si elle n’avait jamais éprouvé une seule expression. Et ses cheveux blonds, presque platine n’aidaient pas à adoucir ses traits.

Anasteria se risqua un regard vers Ivona, et son visage laissait paraitre son effroi. Au bout de quelques secondes, le trio de mages atteint les étudiants, ainsi que l’impératrice et Eyron. Et même les ardents soleils jumeaux ne pouvaient réchauffer l’ambiance glaciale qui s’abattit à ce moment. Le sourire amical de Viviana disparut au moment où elle défia du regard l’une des mages, la plus jeune.

 

— Magistère Pavus, lâcha Viviana, acerbe. Quel plaisir !

— Je ne peux pas vraiment dire qu’il est partagé, votre Excellence, rétorqua la brune. Puis-je m’enquérir de la raison de votre venue ?

 

Viviana poussa un soupir avant de répondre avec un faux sourire.

 

— La même raison que vous. Je m’inquiète de voir nos étudiants en danger dans ce lieu qui, pourtant, se targue d’être le plus sûr de tout l’Empire. Ces jeunes représentent notre avenir Flavia, nous devons les protéger.

— Pour vous, c’est Magistère Pavus, exigea-t-elle. Et je suis venue pour m’en occuper, ne vous inquiétez pas.

— Soit, Magistère Pavus, siffla Viviana. Je vois que vous êtes bien entourée. Dame Eis, Magistère Kaeso.

 

Tous les deux inclinèrent respectueusement leurs têtes, mais décidèrent sagement de rester en retrait, comme tout le monde. La joute verbale entre l’inquisitrice et la magistère cristallisait l’attention de tous dans un silence presque religieux.

 

— Votre Excellence, reprit Pavus, l’académie se trouve sous la responsabilité du Collège, et non de la couronne. Vous n’avez nullement le droit d’intervenir, en vertu de la loi de la séparation des pouvoirs. C’est à moi qu’il incombe de m’occuper de cette affaire.

— Les mages ne sont pas aussi indépendants que vous et vos souverainistes aimeraient le croire, Magistère Pavus. Ce n’est qu’en travaillant ensemble que nous ferons avancer ce pays. 

— Restez à votre place avec le sénat, persifla-t-elle, je me charge de cette affaire.

 

Viviana croisa les bras et afficha un sourire narquois qui contrastait avec son air amical présenté un peu plus tôt.

 

— Vous gérez tellement bien cette situation, railla-t-elle. Ce n’est pas la première attaque que ces étudiants subissent, et c’est seulement maintenant que vous décidez de prendre des mesures.

 

La magistère Pavus fulmina, mais ne rompit pas. Elle soutint le regard de l’impératrice, et elle ordonna d’une voix forte.

 

— Je vais devoir vous demander de partir, votre Excellence.

— Ne vous inquiétez pas, je m’en vais. Mais sachez une chose, si vous ne résolvez pas cette histoire, l’empereur prendra les mesures qui s’imposent. Je vous souhaite une bonne journée, magistères.

 

Elle se tourna un instant vers les étudiants et leur sourit une dernière fois.

 

— Faites attention à vous, leur lâcha-t-elle en guise de salut.

— Je vais vous raccompagner, proposa Eyron.

— Nous discuterons en privé de tout cela, l’avertit Pavus.

 

Le premier enchanteur ne broncha pas et acquiesça humblement de la tête. Jamais Anasteria n’aurait pensé le voir commander par quelqu’un. Lorsque l’impératrice et Eyron s’éloignèrent, Iselia ainsi que Pavus laissèrent échapper leur tension respective, et le visage de la magistère s’adoucit aussitôt.

 

— Vous auriez pu me prévenir, Iselia.

— Je ne savais pas, répondit-elle. Je suis aussi surprise que vous.

— Je vous crois, ne vous en faites pas. Je ne suis plus étonnée des manigances de l’impératrice. 

— Si je puis me permettre, intervint Iselia, pourquoi êtes-vous venu en nombre ?

 

Le regard d’Iselia fixait clairement Voxana. La mage arqua un sourcil, visiblement peu impressionné. Pavus haussa les épaules avec un sourire. Elle paraissait si soudainement accessible et insouciante que ça en était troublant.

 

— Au vu des récents évènements, j’ai pensé que les compétences de Kaeso nous seraient utiles pour rechercher d’éventuelles failles. Concernant dame Eis, elle s’est proposé de m’aider, je ne pouvais pas refuser une telle offre.

— J’imagine que non, soupira Iselia. Je suis bien sûr disposée à vous répondre, mais j’aimerais que mes étudiants travaillent en paix. Ils ont déjà subi assez d’angoisses suite à ces attaques.

— Je comprends, répondit Pavus. Mais nous devons enquêter. Notre priorité est de contrer ces menaces.

 

Voxana décida d’effectuer quelques pas vers sa fille. Cette dernière tressaillit et Anasteria se sentit obligée de se mettre entre elles. Elle ne laissera pas Voxana exercer son influence comme elle avait l’habitude chez elle surtout après ce qu’elle avait entendu sur elle. Voxana haussa les sourcils de surprise, tandis qu’Anasteria tenta de paraitre la plus inamicale possible. Cependant, une curieuse expression passa sur le visage de la mage, et elle esquissa un sourire en coin.

 

— Je suis sûre que vous avez beaucoup de choses à nous raconter, intervint Voxana.

— Nous avons dit déjà tout ce qu’on savait, répondit Anasteria, acerbe. Je ne vois pas pourquoi on vous parlerait.

— Tu aboies beaucoup pour quelqu’un qui se prétend innocent, Horne.

— Je ne vais pas —

— Anasteria, arrête, ordonna Iselia.

 

Sa professeure se plaça devant elle à son tour, et croisa les bras. Peu importe la réputation de la mage, cela ne semblait pas l’inquiéter.

 

— Laissez les respirer, dame Eis, demanda Iselia. Ils sont fatigués.

 

Voxana recula de quelques pas et soupira doucement.

 

— Je déciderai plus tard ce que je pense de leur histoire, mais oui. Ils peuvent partir, pour l’instant.

 

Anasteria remercia intérieurement sa professeure, et les adolescents s’écartèrent du groupe d’adultes qui continuait de discuter. Mais pour l’heure, ce qui inquiétait Anasteria, c’était son amie. Elle agrippa doucement la main d’Ivona.

 

— Hey, Ivi.

 

Cette dernière dégagea sa main sans ménagement et détourna son regard pour l’éviter.

 

— Je vais bien, lâcha-t-elle. Je ne veux pas parler.

 

Et sans un mot, elle accéléra le pas pour s’éloigner. Anasteria hésita à la rattraper, mais elle vit bien que son amie n’avait clairement pas envie de discuter. Elle soupira d’impuissance, et la regarda partir le cœur gros. Ivona avait quelques fois mentionné son enfance et sa mère toxique, mais Anasteria se doutait qu’elle lui cachait bien plus. Johan se posta à côté d’elle.

 

— La pauvre, lâcha-t-il. Je me demande ce qui s’est passé avec sa mère.

— Moi aussi, répondit Anasteria. Mais j’ai comme l’impression qu’elle ne va pas en parler.

 

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